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DANIELLE BLOUIN, Délinquante du livre ?

DANIELLE BLOUIN,  DÉLINQUANTE DU LIVRE?
par Jocelyne Aird-Bélanger                                                   Juin 2008
Comment peut-on être à la fois imprimeure d'art, historienne de l'art, auteur d'un livre remarqué sur le «livre d'artiste», chargée de cours au département d'Histoire de l'art à l'UQAM tout en occupant un poste régulier de technicienne à cette même université? Ce tour de force existe pourtant : c'est le fait de Danielle Blouin. Ses origines beauceronnes et sa proximité de l'imprimerie familiale expliqueraient peut-être sa détermination indéfectible et le parcours individuel peu orthodoxe qu'elle s'est imposé, toujours à la recherche du professionnalisme le plus exigeant.

Après des études au CEGEP de Ste-Foy, c'est à Genève en Suisse que toute jeune elle  débute sa formation d'imprimeur d'art avant de revenir au pays, étudier au Nova Scotia College of Art and Design et de repartir pour les États-Unis. Puis retour en Suisse à Lausanne chez Raymond Meyer auquel elle fut présentée par Francine Simonin. Après bien d'autres tours et détours, elle aménage et ouvre à Montréal en 1988 un atelier d'impression d'art où sont passés plusieurs de nos artistes importants tels Francine Beauvais, Geneviève Cadieux, Léon Bellefleur, Yves Gaucher, Irène Withome, entre autres. Situé au-dessus d'une ancienne écurie, l'atelier mêlait parfois aux odeurs d'encre quelques effluves un peu plus terre-à-terre!

Danielle Blouin allie à un esprit méthodique et curieux, beaucoup de rigueur. Elle décida de compléter une Maîtrise à l'UQAM de 1996 à 1998 pour se «reposer» de ses années d'impression et répondre à de nombreuses questions sur sa pratique. Récipiendaire de la bourse FCAR (fond de formation de chercheurs et l'aide à la recherche), elle rédige un mémoire sur le livre d'artiste, ses origines et ses avatars, le tout principalement axé sur la production québécoise. Publié sous le titre «UN LIVRE DÉLINQUANT», cet ouvrage sert de référence à de nombreux artistes qui créent des oeuvres sous forme de livres. Suite à cette immersion totale, Danielle fut souvent chargée d'enseigner l'histoire de l'estampe et du livre d'artiste dans des ateliers collectifs, des universités ainsi qu'à des groupes professionnels. Elle enseigne également la technique de gravure et d'impression japonaise qu'elle a apprise lors d'un séjour au Japon en 1997.
Son expérience pratique et sa connaissance approfondie de toutes les techniques de l'estampe et du livre d'artiste en ont fait la personne toute désignée comme membre et quelques temps présidente, du comité d'acquisition du livre d'artiste à la Bibliothèque nationale du Québec de 1991 à 1999. Elle côtoya alors régulièrement Sylvie Alix en charge de ce département à l'époque.
En 2005-2006, Bibliothèque et Archives nationales du Québec lui confia la responsabilité de l'exposition portant sur UNE HISTOIRE DE LA RELIURE AU QUÉBEC présentée à la Grande bibliothèque. Et la voilà commissaire d'exposition, un autre aspect de la polyvalence et de l'étendue de ses connaissances. Cette exposition rappelait que jusqu'au 18e siècle, la majorité des livres arrivaient ici de France en feuillets. Ils devaient donc être reliés sur place, soit dans les couvents, soit par des cordonniers qui connaissaient bien le cuir et ce avant que s’établisse une nouvelle génération de relieurs locaux . La première presse à imprimer apparut dans la ville de Québec sous le régime anglais en 1763; elle était la propriété de deux imprimeurs britanniques en provenance des États-Unis. Dans un effort de démocratisation, les Britanniques inventèrent le «livre de poche» dont le prix ne devait pas dépasser plus qu'un heure de salaire. Le Livre d'artiste tel que compris au Québec et le Small Press Book ou Book Art de tradition anglo-saxone diffèrent. Il n'en reste pas moins qu'ils sont des Livres, s'inscrivant dans une icône très forte telle que développée dans la société depuis 2500 ans.
Ainsi peut-on lire dans UN LIVRE DÉLINQUANT à la page 28 :
«L'impulsion qui anime la création du livre d'artiste relève donc de l'aspiration à s'inscrire dans l'icône richement connotée du livre. Le livre d'artiste est un signifiant qui nous offre en instantané le projet philosophique de l'artiste au même titre que celui jadis d'une société à la recherche d'un projet médiateur. Le choix délibéré de l'objet livre est indicateur d'une volonté de l'artiste de se positionner dans l'aventure du savoir; qu'il soit en rupture ou qu'il s'y intègre, il en commente toujours l'épisode en cours.»

En ce moment, Danielle Blouin est rédactrice et responsable du contenu que Bibliothèque et Archives Canada est à réaliser pour le site Web dédié au livre d'artiste. Après de nombreux délais, le site devrait être accessible cet automne sous le titre «Le livre d'artiste: une lecture réinventée.» /Artist's Book: Bound in art
Madame Blouin ne croit pas que l'Internet sonne le glas du livre. Les nouveaux moyens de communication et les technologies nouvelles appellent une définition inédite, sinon une transformation du concept traditionnel. On assiste en effet à tout un arsenal de micro- éditions qui libéralisent le livre en permettant une impression à petit tirage selon la demande. Les technologies moins onéreuses et des encres de plus en plus permanentes font en sorte que paradoxalement, il n'y aura jamais eu autant d'éditions.
Le livre d'artiste s'est démocratisé dans les années ‘70. Le livres illustré d'estampes originales et recouvert d'une reliure de prix reste de plus en plus une affaire de bibliophilie tandis que le livre créé par un artiste prend une variété infinie de formats et d'aspects.
Toujours passionnée par l'estampe et le livre d'artiste, l'imprimeure d'art prend un répit puisqu'elle a fermé son atelier public il y a quelques années. Elle concentre maintenant son énergie sur sa création personnelle en estampe et sur son travail d'historienne. Comme imprimeure et éditeur, elle devait jadis veiller à mettre le travail des autres en valeur. Maintenant, c'est son propre travail qu'elle compte mettre en scène. Si elle y met la même détermination et la même intensité, il est tout à fait certain que son travail ne passera pas inaperçu, peut-être même en tant que Livre plus ou moins délinquant!

 Photo :
Danielle Blouin